samedi 1 février 2014

Dessine moi un pirate

Le sel, le vent, le pavillon noir qui flotte et l'odeur de la poudre, nous poursuivons notre série d'articles consacrée aux pirates. Cette fois-ci il s'agit de travailler un peu le vocabulaire afin de se distinguer des marins d'eau douce et autres terriens.

Pirates of the burning sea

Savez-vous reconnaître les différences entre un pirate, un corsaire, un flibustier, un boucanier ou encore un Frère de la côte ? Bon, faites briller les pièces de chasse, étarquez le hunier et abattez en grand pour aller lire la suite






Le pirate c’est facile, c’est un marin, un hors la loi, sa principale occupation est d’attaquer les autres navires pour les dépouiller et vivre du produit de ses rapines, en pratiquant moult beuveries. Il vit en général dans les Caraïbes et le plus souvent au XVIIe siècle.


Pour une fois l’image véhiculée par la littérature et reprise dans nos univers ludiques n’est pas fausse, ils ont existé ! Mais il est intéressant de creuser un peu plus, ne serait-ce que pour incarner de temps en temps un personnage de pirate.


Tout d’abord il faut bien voir que la piraterie est aussi vieille que le monde et qu’elle existe toujours de nos jours, notamment du côté de la mer Rouge. En 67 av. J.C. Pompée le Grand s’est distingué par ses succès contre les pirates en Méditerranée. Toujours en Méditerranée les raids de pirates barbaresques ont été une réalité pendant des siècles. Il s’agissait plus de corsaires d’ailleurs.

Corsaire ou Pirate ?

Première chose essentielle, distinguer le corsaire du pirate. Le corsaire est un mercenaire, c’est une petite entreprise de service en fait. Des armateurs privés mettent au service du roi un navire armé et son équipage, le plus souvent pour attaquer les navires de commerce de l’ennemi. Jean Bart, Forbin ou Surcouf étaient des corsaires au service du roi de France. Le corsaire possède une « lettre de marque », un document qui lui confère le droit d’agir contre les navires et les intérêts ennemis. Bien sûr la signature de la paix met fin à ce droit.

Pirates des Caraïbes

C’était pour les rois une manière commode d’éviter les frais d’entretien d’une flotte trop nombreuse et de pouvoir agir contre le commerce ennemi. Les corsaires eux y voyaient un moyen de s’enrichir par la capture des navires et de leur cargaison. 

Le pirate attaque aussi les navires, de préférence s’ils sont chargés de marchandises ou de richesses, par contre il agit pour son propre compte. Loin de reposer sur un document royal, son action est hors la loi. Il n’est pas lié à un pays et les pirates sont pourchassés par toutes les nations, la peine capitale garantie en cas de capture. 
Les pirates sont non seulement combattus pour leurs actes (pillage, meurtre, viol, capture de navires, etc.) mais aussi parce qu’ils se sont soustraits à l’autorité de leurs états d’origine. De fait les équipages pirates sont constitués d’hommes que la société rejette d’une manière ou d’une autre : marins mutinés, déserteurs, esclaves en fuite, évadés de prison et condamnés par la justice, etc.

La force des pirates


Les pirates des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles avaient pour eux pas mal d’atouts. Le premier était l’immensité du monde maritime qui était en cours de découverte mais que personne ne contrôlait vraiment. La colonisation espagnole de l’Amérique du Sud et les extraordinaires richesses en métaux précieux qui en résultaient étaient un aimant très puissant. Le mythe de l’Eldorado, les galions de la Flotta de Oro… la perspective d’un enrichissement colossal et rapide, à portée de canon !


Assassin's Creed - BlackFlag

Les conditions de vie dures, notamment dans les flottes militaires qui pratiquaient la « Presse », à savoir l’enlèvement des hommes autour des ports militaires et leur enrôlement de force, pouvaient faciliter le recrutement par les capitaines pirates de marins qualifiés, prêts à vivre une vie aussi rude, mais avec une chance de s’enrichir.

Les pirates avaient aussi, même s’il ne faut pas exagérer ce point, la possibilité d’une vie individuelle plus libre. Alors que dans une flotte militaire la moindre chose pouvait se traduire par des coups de fouet qui laissaient des souvenirs à vie, les pirates avaient en partie leur mot à dire sur leur vie. Nul doute cependant que l’autorité des capitaines pirates passait aussi par quelques moments de franche tyrannie… mais reposait sur un équilibre qu’aucun code de loi ne venait soutenir. Les pirates étaient libres, affranchis, insoumis, rebelles face au reste du monde. Cela explique une partie de la fascination qu’ils exerçaient et exercent encore rétrospectivement.

Valeur au combat


C’est peut-être là que la réalité s’écarte le plus de la fiction. Les films présentent en général des navires pirates lourdement armés de canons, qui attaquent vaillamment des navires militaires ennemis. Les pirates étaient plutôt spécialisés dans les attaques de navires marchands, évitant le plus possible d’affronter une unité militaire. Pour cela il leur fallait deux choses, d’une part des navires rapides (on ne parle pas de guerre de course par hasard), d’autre part des équipages nombreux.

Les navires rapides sont en général petits et fortement toilés. A contrario les canons sont lourds, nécessitent des navires fortement charpentés pour résister à la puissance de leur recul, enfin ils demandent des canonniers nombreux et compétents, des approvisionnements coûteux en poudre et boulets. 


Master & Commander

Les canons les plus utiles aux pirates sont alors une paire de pièces à l’avant (canons de chasse) et à l’arrière (canons de retrait) qui servent à amocher le gréement du bateau que l’on poursuit ou qui vous poursuit pour mieux l’attraper ou lui échapper selon le cas. Ces canons là doivent être longs, précis et utilisés par des hommes très compétents.

Par ailleurs les combats d’artillerie abîment les navires, ce qui n’est jamais bon quand il s’agit d’une future prise et de sa cargaison précieuse. Pire encore les pirates qui se rendent maîtres d’un navire au prix d’un rude combat risquent de se retrouver avec deux navires très endommagés, très lents et très vulnérables. Il faut réussir vite ou fuir et pour cela miser sur quelques tirs ajustés et la masse d’un équipage prêt à l’abordage, soit pour faire peur soit pour vraiment l’emporter à coups de sabres.

Si la valeur militaire des navires pirates est assez faible, leur action vise justement à frapper là où l’opposition est minimale (et pas seulement en mer), en utilisant la surprise, un déséquilibre de forces en leur faveur et aussi, une aura de terreur bien entretenue.

La réputation des pirates fait en effet partie de leurs armes. Elle constitue notamment la légende noire de certains capitaines. Jean-François Nau, dit l’Olonnais du fait de son origine aux Sables d’Olonne est ainsi connu pour avoir exercé une extrême cruauté envers les prisonniers espagnols qui tombaient entre ses mains. Coupeur de têtes, arracheur de langues… l’annonce de son arrivée faisait fuir des villages entiers, les combattants savaient qu’il valait mieux combattre jusqu’à la mort qu’être fait prisonnier par lui. 

Les boucaniers et la flibuste


Plusieurs termes sont utilisés pour évoquer la piraterie. Ils sont intéressants car permettent de mieux comprendre cette société particulière des îles Caraïbes. L’un des plus fameux est le terme boucanier, buccaneer en anglais. À la base le boucanier n’est pas spécialement pirate. Il s’agit de chasseurs qui opèrent dans les îles où ils abattent et préparent le gibier, sur un « boucan », sorte de claie pour fumer la viande. Ils utilisent de très longs fusils, très précis. Ils ressemblent finalement beaucoup aux trappeurs du Canada qui chassaient eux la fourrure plus que la viande.

Leur mode de vie rustre en fait des hommes à la fois rudes et marginaux. Capables de tirer loin et juste ils trouvent tout naturellement un « débouché » dans la piraterie, d’autant plus que les pirates doivent boucaner aussi par nécessité car ils trouvent difficilement des magasins susceptibles de les approvisionner… Par glissement boucanier devient donc un synonyme de pirate.

Minecraft

Flibustier est aussi un terme fréquent. Il dérive du hollandais et de l’anglais. Free booter ou free rapist, l’idée est de prendre du butin librement. On dirait « free looter » dans un MMO ! La flibuste est une forme de sous-division de la piraterie. Elle regroupe le même type de personnages mais avec un rôle à mi-chemin entre corsaire et pirate. Avec ou sans approbations royales, les flibustiers des Caraïbes ont œuvré contre l’Espagne et ses possessions. Ils faisaient donc clairement le jeu d’autres pays comme la France, l’Angleterre ou les Provinces Unies protestantes alors en lutte contre les Pays-Bas catholiques sous domination espagnole. Ils disparaissent à la fin du XVIIe siècle avec la fin de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Le mot flibustier reste cependant, faisant partie du « folklore » de la piraterie. Autre terme qui est resté, les fameux « Frères de la côte » auraient été les membres d’une confrérie de flibustiers et de boucaniers qui sévissaient sur l’île de Saint-Domingue. 

Après cette mise en jambe très générale, nous allons pouvoir poursuivre l’étude des pirates un peu plus en détail. Je pense que quelques portraits de pirates célèbres seraient bienvenus et il faut aussi que je vous parle de… Tortuga !